Raffaello

Ce trou du cul de proc s’y était opposé. « Ça ne sert à rien d’accorder la suspension de peine ; ça ne fera pas guérir Beggiato. » Heureusement, mon avocat a été bon. Il a sorti un avis pro veritate d’un éminent prof à l’université de Padoue qui soutient que la liberté peut avoir un effet bénéfique sur le cancer. Et puis, il a voulu lire la lettre de Contin publiée dans la presse mais le président n’a pas voulu. « Elle est déjà jointe au dossier », qu’il a dit et ça se voyait que ça le faisait chier. Moi, j’ai suivi les conseils de mon avocat, j’ai gardé les yeux baissés, même si de temps en temps j’ai reluqué la tronche de con des experts. Y me fixaient avec leur air con. Mais j’ai été malin, je les ai pas envoyés se faire foutre. Ni les connards qui m’escortaient. Avec l’excuse que je suis un perpète, ils ont joué les Rambo et y m’ont bien serré les menottes pour bien me faire mal. Mais j’ai fermé ma gueule. J’avais envie de chialer tellement c’était douloureux mais j’allais pas leur faire ce plaisir. Toute façon, dans quelques jours je sors et je me tire au Brésil. Je passe la frontière française en train et après, de Paris, j’embarque sur le premier avion. Si le passeport est nickel, y devrait pas y avoir de problèmes. Pour le moment, les flics prennent en chasse que les Rebeus. Et moi, j’suis bien blanc avec les yeux bien clairs. J’espère qu’une chose, c’est qu’ils me piquent pas ma valise pleine de fric, mais ça arrivera pas. Les voleurs se volent pas entre eux. Avant, c’était les carabiniers qui escortaient au tribunal. Les plus jeunes, c’était des vraies charognes. Mais parfois tu trouvais un chef qui allait au bar te chercher un café arrosé. Les temps ont changé. Aujourd’hui les matons se font appeler police pénitentiaire, mais ils ont toujours le complexe d’infériorité de pas servir à autre chose qu’à ouvrir et fermer des grilles, alors y font les enculés, histoire de se faire remarquer par les vrais lardus. Pendant que j’étais à l’audience, le type du courrier est passé et m’a laissé une lettre. Elle est pas de mon avocat et ma mère m’écrit jamais. Je l’ai pas encore lue. Je mange d’abord quelque chose. Aujourd’hui, pâtes à la sauce tomate, ragoût avec patates et une pomme. C’est toujours des petites pâtes en cabane. Ça fait quinze ans que je bouffe pas des spaghettis ou des tagliatelles ; le temps que ça arrive des cuisines aux cellules, ça serait de la colle. Les petites pâtes, ça te brûle toujours la gueule, mais au moins ça arrive pas en bouillie infâme. La sauce est acide comme d’hab et ils ont mélangé de la panure au parmesan. Comme ça, le gradé des cuisines, y peut s’emmener chez lui un beau morceau de frometon. Faut quand même qu’il en donne une partie aux détenus qui bossent en cuisine, sinon ce petit jeu, ça pourrait pas durer. Pour eux, c’est clair que la taule, c’est pas l’enfer. Au moins, y bouffent bien. Et ici, la bouffe c’est comme la came. Ça sert à te faire passer la journée. Moi aussi j’avais demandé à bosser comme cuistot mais le directeur m’a répondu que les condamnés pour homicide peuvent pas travailler en cuisine ou à l’infirmerie des fois qu’une lubie les prendrait et qu’ils trancheraient ou empoisonneraient quelqu’un qui leur revient pas. Type un bon gros maton bien con. Les patates partent en brioche et les morceaux de viande sont durs comme du bois. Putain, Raffaello, combien t’en as ingurgité de cette tambouille toutes ces années ? Bon, je vais lire c’te lettre. J’suis curieux de savoir qui c’est.

« Cher Raffaello,

Ça fait plusieurs années que je ne t’écris plus. Je réapparais seulement pour te dire que j’espère que tu sortiras et que tu arriveras à guérir. On a passé du bon temps ensemble autrefois et c’est un souvenir auquel je tiens beaucoup. Maintenant, je bosse chez moi et un de mes clients réguliers est Silvano Contin. Je suis vraiment heureuse qu’il ait décidé d’écrire cette lettre aux journaux. Je suis sûr que ça t’aidera. Je te souhaite tout le bonheur du monde. »

Giorgia

Giorgia Valente, le plus beau cul des boîtes de la Vénétie. Et mon vieil amour. Mais quel amour ? Elle me collait uniquement parce qu’elle espérait avoir la belle vie avec moi. C’était une pute comme les autres. Mais elle me plaisait. Elle savait être marrante aussi. Elle m’a écrit pour une raison bien précise, sinon elle s’en serait jamais donné la peine. Et le message concerne Contin. Le veuf inconsolable baise mon ex. Et alors ? Qu’il est jeté, je le sais, et puis, avec ce qui lui est arrivé, ça me paraît le minimum. Faudrait que j’me sente offensé ? Désolé, c’est pas le cas. Peut-être que Giorgia veut me dire de faire gaffe ? Et pourquoi je devrais ? Dès que j’sors, je me calte au Brésil. Je vais foutre cette lettre aux chiottes. Bon, maintenant j’peux finir mon ragoût. La pomme, je me la ferai cuire avec un peu de sucre, bien doucement jusqu’à ce qu’elle caramélise comme il faut. Merde, la bonbonne de gaz est presque vide ! Il en restera à peine pour deux cafés. Tant pis, je la boufferai crue. Comme dit le proverbe : une pomme par jour, pas de médecin autour… Mon cul, oui ! Avec mon cancer, faudrait que j’en avale des tonnes. Et merde tiens, j’en ai plus envie. Et merde aussi à Giorgia. Quel âge elle doit avoir maintenant ? Quarante-quatre, quarante-cinq. C’est clair que vu son cul, elle peut que tapiner chez elle ! Mais avec tout le blé qu’il a, pourquoi Contin se tape pas des salopes de vingt ans de moins ?

L'immense obscurité de la mort
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